Annonciation moderne

De Vinci - AnnonciationAnnonciation, Léonard de Vinci – 1475 (cliquer sur l’image pour l’agrandir)

A la fin du 15ème siècle, Léonard De Vinci, alors âgé d’une vingtaine d’années, travaille dans l’atelier de Verrocchio. Aux côtés du peintre, sculpteur et orfèvre qui comptait parmi les plus influents du Quattrocento, De Vinci apprend. Il alimente son « don » initial pour la peinture avec de nouvelles techniques, comme la perspective qu’a vu naître la Renaissance italienne.
Il suit également des cours auprès d’un théologien, qui lui transmet les fondamentaux de la religion chrétienne et lui permet ainsi de réaliser – ce qui est sans doute l’une de ses toutes premières oeuvres – cette Annonciation. Nous sommes en 1475.
L’Annonciation, telle qu’elle figure dans la Bible, est décrite par le moment où l’Ange Gabriel annonce à Marie qu’elle est enceinte, et qui plus est, qu’elle va enfanter le fils de Dieu.

Quatre siècle plus tard, à travers le tableau New York Movie d’Edward Hopper, on pourrait croire à une réinterprétation de l’Annonciation biblique. La composition, les techniques de perspectives ainsi que les thèmes suggérés par Hopper semblent se trouver dans le plus pur sillage florentin. Et si NY Movie pouvait être apprécié comme une Annonciation moderne ?

Hopper-New York MovieNew York Movie, Edward Hopper – 1939

Traits caractéristiques de l’Annonciation

Peindre une Annonciation revient à se conformer à un ensemble de « règles », de détails qui caractérisent le genre. Une Annonciation est donc un genre en soi, tout comme il existe un genre « Vierge à l’enfant » ou encore « Adoration des Mages ». Plusieurs attributs sont associés au thème de l’Annonciation, cher aux artistes florentins de la Renaissance italienne.

Botticelli_AnnonciationAnnonciation, Sandro Botticelli – 1485

Tout d’abord, dans une Annonciation, l’histoire est incarnée par deux personnages que sont l’Ange Gabriel et la Vierge Marie. Ces personnages sont systématiquement positionnés de la façon qui suit : l’Ange à gauche, Marie à droite. En respectant le sens de la lecture, de gauche à droite, le tableau fait état d’un dialogue dans lequel l’Ange s’adresse à Marie.
De plus, l’Ange est généralement « poussé », guidé, par un souffle (qui peut parfois être une lumière) divin. Cette énergie divine est matérialisée par quelques traits en diagonale, et semble se diriger vers Marie. Une direction comme imposée à l’oeil qui nous fait rentrer d’avantage dans le sujet du tableau, la grossesse de Marie.
Cette impression de mouvement est d’ailleurs renforcée par la perspective : le tableau représente un monde ordonné, mesurable et compréhensible par l’homme.

Un autre détail que l’on retrouve dans les Annonciations est le hortus conclususle jardin enclos. C’est un élément iconographique de l’art religieux européen souvent associé à la Vierge Marie, qui, comme une nouvelle Eve, pourrait rendre possible la rédemption. En tant qu’attribut de Marie, la végétation peut se matérialiser dans les Annonciation par un jardin mais aussi, souvent, à travers le lys blanc (comme celui que porte l’Ange dans le tableau de De Vinci). Ce lys renforce le symbole de pureté virginale, associé par essence à la Vierge Marie.

Dans une Annonciation, on trouve aussi des colonnes, qui ne sont finalement pas utilisées à des fins architecturales mais bien spirituelles. Elles sont en quelque sorte le lien entre ciel et terre, entre divin et mortel, et sont le signe de la présence de Dieu auprès des hommes (cf. les colonnes votives construites par les Romains pour prier les Dieux). Ces colonnes sont généralement au coeur des Annonciations (et littéralement au centre du tableau) dans la mesure où elles matérialisent le mystère de l’incarnation – et plus symboliquement encore, une idée de « pénétration » du divin dans le monde mortel.

L’Annonciation dans New York Movie

La composition de New York Movie n’est donc pas sans rappeler celle d’une Annonciation. En effet, on y retrouve deux types de personnages – les spectateurs dans la salle de cinéma et l’ouvreuse – une colonne, des perspectives, de la lumière. Egalement, chaque personnage occupe un espace qui lui est propre.
Le premier élément de rupture avec l’Annonciation « classique » vient du fait qu’il n’y a pas de dialogue. Les spectateurs, d’un côté, sont face à la toile tandis que l’ouvreuse est seule dans le couloir. Sa position est celle d’une personne en méditation, introvertie (versus Marie qui écoute, reçoit et accepte l’annonce de l’Ange). Ici, il n’y a pas d’échange ni de communication possible entre les personnages.

Cette idée est renforcée par la colonne massive qui occupe le centre du tableau et coupe littéralement la scène en deux. Une colonne qui, bien qu’ornée de végétaux pourrait évoquer le jardin et les fleurs, nous indique qu’elle est une frontière, une séparation entre deux espaces, entre deux mondes. Et ces deux mondes semblent repliés sur eux-mêmes : l’ouvreuse est dans une position d’introversion, pensive alors que les spectateurs lui tournent le dos, les yeux rivés sur l’écran de cinéma (qui est soit dit en passant LE sujet du tableau, New York Movie). Pour le coup, la diagonale mise en scène par Hopper dans ce tableau rompt complètement avec la dynamique divine des peintres italiens. Elle n’est pas là pour amener le sujet et attirer notre attention mais bien pour écarter notre regard. Le point de chute de toutes ces lignes diagonales se trouve en bas de l’écran et ne nous apprend rien – il contribue à nous éloigner un peu plus du personnage de l’ouvreuse, qui est pourtant dans la lumière.

New York Movie_colonne

Alors, que signifie cette mise en scène ? Hopper s’approprie-t-il les codes de l’Annonciation pour finalement mieux les détourner ? Cette ouvreuse, qui semble d’ailleurs se tenir le ventre, peut-elle être une interprétation contemporaine de Marie ?

Comme ses prédécesseurs florentins, Hopper est un maître de la perspective, et il use de cet art dans un grand nombre de ses tableaux (notamment dans Chair Car, en 1965). Sauf que SA perspective est que l’Annonciation moderne n’est pas aussi positive et porteuse d’espoir que dans la Bible.
En éloignant notre attention du seul personnage éclairé, Hopper dresse le portrait d’une femme d’autant plus mélancolique, comme abandonnée, et paradoxalement, cela ne fait que raviver l’intérêt (ou peut-être la compassion) que nous pouvons porter au personnage. La salle étant plongée dans l’obscurité, c’est bien elle que l’on voit et que l’on observe. C’est bien elle, qui, toute vêtue de bleu permet au rouge et au jaune de fonctionner et de former le trio primaire. Elle semble ainsi garante d’un équilibre, d’un ensemble qui la dépasse et dont les raisons lui échappent totalement.

New York Movie_ouvreuse

La lumière divine des Annonciations semble laisser la place à un éclairage plus cru et factice ; une lumière qui paradoxalement assombrit ce qu’elle éclaire. C’est peut-être une Annonciation moderne, en négatif des Annonciations classiques que cherche à (dé)peindre Hopper à travers ce désenchantement. A la fin des années 1930, l’entrée en guerre laisse place à un pessimisme affiché et qui semble inaltérable, et la promesse du Messie, de l’espoir, n’exprime chez Hopper que la solitude et le caractère mortel de la condition humaine.
Par ces compositions, Hopper déstabilise le spectateur qui ne sait plus vraiment de quel côté il doit se positionner, car il semble finalement tenté de se placer à deux endroits à la fois. Le but est-il ne nous faire douter ? Ou bien précisément de nous faire prendre du recul ?
Des questions que le peintre laisse toutefois ouvertes et libres à l’interprétation de chacun, comme une porte de sortie. Et cet échappatoire nous le retrouvons au fond à droite du tableau avec ses escaliers dévoilés. Le rideau aurait pu être fermé. Or, Hopper nous laisse entrevoir une possibilité d’ascension et donc, avec elle, d’espoir. Cet espace en haut des escaliers, que l’on ne voit pas, détient peut-être la suite de l’histoire. Cet ultime détail fait également partie des Annonciations florentines : il y a toujours une ouverture sur « l’autre pièce », celle de tous les mystères, celle de la fécondation de l’esprit Saint et de la promesse d’incarnation.

annonciations-piece

Fantastiques créatures

Le jugement dernier, détail, Jérôme Bosch, fin du 15ème siècle.

Licorne, phoenix, hydres, dragon, sphinx, sont autant de créatures qui composent le bestaire fantastique. Certaines proviennent de légendes antiques, d’autres ont été soi-disant aperçus à une époque, mais la grande majorité est surtout le pur fruit de l’imagination humaine.

A l’origine, le terme de créature s’appliquait, en occident, à l’homme ayant été créé par Dieu. Une créature désignait donc en premier lieu une oeuvre divine.
Au Moyen-Age, il était commun de nommer ‘créature’, toute personne ou bête ayant des caractéristiques hors-normes. Les personnes malades ou souffrant de déformations physiques, étaient qualifiées de créatures par les personnes ‘normales’. Ainsi l’utilisation du terme de créature servait à désigner des anomalies.

Une créature peut aussi être le fruit d’une mauvaise perception. L’exemple le plus parlant est surement celui des signes astrologiques, ces formes (sagittaire, taureau, poisson,…) qui auraient été vues dans les étoiles et auxquelles ont avait accordé des attributs particuliers, que l’on retrouve encore aujourd’hui dans les horoscopes. Cette perception ne pouvait être définie comme mauvaise à cette époque puisque rien de scientifique, de divin ni d’officiel n’affirmait le contraire.

Licorne de mer, gravure d’Ambroise Paré, 16ème siècle

La mauvaise perception pouvait être couplée d’une description erronée. Ainsi croyait-on que la licorne était un animal de mer. Décrite comme antilope à corne unique et donc un animal terrestre dans les contes modernes, la licorne était, au 16ème siècle, originaire du fond des mers. Et pour preuve, sur les plages avaient été retrouvées des cornes de licorne. Cette ‘corne’ appartenait très vraisemblablement à des narvals, animaux marins totalement inconnus de l’homme qui, à cette époque, ne pouvait pas explorer la mer comme aujourd’hui. Telle qu’elle apparait sur la gravure d’Ambroise Paré, la licorne n’était pas l’animal fantastique et majestueux que l’on décrit de nos jours, mais bien un monstre marin des plus effrayants.
Comme elles provenaient de personnes dites ‘éclairées’, ces gravures faisaient foi. Ambroise Paré, médecin de Charles IX et anatomiste français, était aussi le « chirurgien des champs de batailles ». Face aux dégâts physiques causés par l’arrivée des armes à feu, ce père de l’amputation avait vu, décrit et dessiné de nombreuses parties de l’anatomie humaine, mais aussi animale. Le contenu de ses gravures était considéré comme vrai et l’existence avérée de ses créatures ne faisait aucun doute. « Il y a d’autres créatures qui nous étonnent doublement, car elles procèdent d’une confusion d’étranges espèces qui rendent la créature non seulement monstrueuse, mais prodigieuse : c’est-à-dire, qui est tout à fait abhorrente et contre nature […] » (Ambroise Paré, Des monstres et des prodiges).

Ajoutons à cela les nombreux récits de voyages et d’exploration, tels ceux de Marco Polo au 13ème siècle dans son Livre des merveilles (ci-dessus). Entre ce qu’avait vu (ou cru voir) le voyageur, ce qu’il pensait connaître de par les livres et le dessin final exécuté par l’illustrateur ou le peintre, il y avait d’énormes différences. Celui qui a vu ou cru voir, a une certaine compréhension de la chose, tout comme celui qui dessine et retranscrit en a une autre. En somme, ces créatures sont autant d’interprétations, nourries de récits parfois avérés et souvent fantasmés.

Les créatures peuvent enfin être composites, toute droit venues de l’imagination fertile de l’homme. C’est le cas des nombreuses créatures imaginées par le peintre hollandais Jérôme Bosch. Dans ses peintures, Bosch donnait vie à des personnages-créatures pour illustrer des thèmes religieux : Le jugement dernier, Le jardin des délices, La tentation de Saint-Antoine.

A gauche, un extrait de La tentation de Saint-Antoine. Dans ce tableau, de nombreuses créatures représentent les hérésies, les tares et les défauts de l’humanité. Ce personnage fictif se compose pourtant d’éléments réels : oreilles de chien, bec d’oiseau, entonnoir, lames de couteau, etc. Ce qui fait de lui une créature est précisément cette association étrange d’attributs réalistes. « Toute création artistique est le fruit d’assemblage d’éléments de la réalité » Aristote. Une définition qui s’applique parfaitement au mouvement surréaliste, qui se sert d’éléments et d’objets réels pour en créer, en imaginer de nouveaux. D’ailleurs, un grand nombre de peintures de Salvador Dali s’est fortement inspiré des compositions de Jérôme Bosch.

Dans les tableaux de Bosch, ces créatures sont volontairement hideuses voire effrayantes car elles émanent d’un objectif d’éducation religieuse. Au 16ème siècle, la grande majorité de la population est analphabète, et l’institution religieuse souhaite transmettre sa vision par les images. A travers ces créatures « démoniaques » et défiant toute nature, l’idée est littéralement d’effrayer les foules afin qu’elles se comportent pieusement et évitent ainsi l’enfer. Un autre exemple, à droite, dans cette tapisserie extraite des tentures de l’Apocalypse (14ème siècle). On y retrouve l’hydre de lerne, créature mythologique de la Grèce antique, qu’Héraclès combat dans ses Douze travaux. La chrétienté use beaucoup de ce vivier mythologique pour transmettre ses messages et avertir les populations en leur montrant les potentielles punitions qui les attendent.

Les créatures composites sont aussi très présente dans l’univers profane. Certaines d’entre elles n’ont d’ailleurs pas d’autres intentions que de décorer. C’est le cas des personnages en fruits et légumes d’Archimboldo, ou bien des créatures mythologiques, comme Orphée et Eurydice, représentées ici par Nicolas Poussin.

Une étape intéressante dans la représentation des créatures est le moment où elles commencent à être utilisées comme symbole. On passe d’une image supposée montrer ou dire la vérité (réelle ou divine), à une image qui symbolise qui incarne une idée. En d’autres termes, une image qui chercher à faire prendre de la distance par rapport à ce qu’elle est. C’est le cas du Colosse peint par Goya au début du 19ème siècle : il n’y a pas de géant sur le champ de bataille, mais bien un symbole de la guerre et de sa redoutable ampleur. Ce sont aussi les débuts du portrait charge (appelé aussi caricature), comme celui représentant le Duc de Biron en paon (18ème siècle).

Il est tout de même intéressant de noter que l’univers fantastique survit à la connaissance.
Même s’il sait que toutes ces créatures ne sont pas réelles, l’homme en a besoin pour nourrir et entretenir son imaginaire. Et puisque chaque époque semble comporter son lot de créatures étranges et fantastiques, l’homme a besoin d’en créer de nouvelles, parfois à son image. Finalement, à quel moment un être devient-il « bizarre » ? fantastique ? Si nous sommes nos propres monstres, certains verront des créatures là où d’autres se reconnaîtront.

Autoportrait mou avec lard grillé, Salvador Dali, 1941

L’Odyssée de Cartier

Avec ce titre, le célèbre joaillier français nous invite au voyage, et plus précisément à son voyage. A l’occasion des 165 ans de la marque, la Maison Cartier s’offre le luxe d’un spot publicitaire de 3 minutes 30, retraçant l’odyssée qu’est son histoire. Une Maison qui comme Ulysse, a fait un beau voyage…

C’est au milieu du 19ème siècle que Louis-François Cartier, passionné par la joaillerie, l’horlogerie et les objets de luxe, fonde la Maison Cartier. Bien plus qu’un simple commerce, il démarre l’écriture d’une histoire, d’une épopée dont il saura partager la passion et les valeurs. Plus tard, à l’aube du 20ème siècle, les petits-fils du fondateur cherchent à donner à la Maison une résonance internationale. En effet, après s’être établie une renommée d’élégance et de luxe sur la place de Paris, la marque souhaite gagner le coeur d’autres contrées telles que Londres et New York. Les trois frères sont alors à l’initiative de nombreux voyages (Russie, Inde, Chine), desquels ils s’inspirent pour nourrir le style Cartier. Ce sont ces voyages et cette essence luxueuse que l’on retrouve dans le film.

Une odyssée créatrice

Une odyssée est un schéma particulier d’histoire, tout comme l’iliade. C’est une structure qui construit l’avancement des événements d’une histoire. Un voyage en odyssée signifie que l’on évolue de lieu en lieu (ici de pays en pays), que l’on se déplace toujours vers l’avant dans le but de découvrir, de s’enrichir. Le voyage peut se terminer dans le dernier endroit atteint, ou bien par un retour sur le lieu d’origine (cf. Ulysse). L’Odyssée de Cartier (voir ou revoir le film) démarre à Paris sur la prestigieuse rue de la Paix, entame un voyage à travers tous les continents pour finalement se retrouver à Paris.

Toute la construction du film s’articule autour de ces pays avec lesquels la marque entretient une histoire. Pas à pas, on découvre la Russie, où Louis Cartier avait séduit toute l’aristocratie, notamment grâce à ses colliers et diadèmes ; on survole les montagnes suisses, en référence à l’ouverture d’une boutique à Genève, où roulent les bracelets cultes LOVE ;  on se retrouve face à face avec un dragon le long de la grande muraille de Chine ; on contemple l’Inde et ses mille couleurs depuis le dos d’un éléphant, pour finalement s’envoler à bord du célèbre dirigeable d’Alberto Santos-Dumont, pour qui Cartier inventa la première montre-bracelet.
Egalement, les plans sont parsemés des plus célèbres créations de la Maison, comme la bague Trinity sur laquelle la panthère prend appui pour sortir du dôme, les colliers ornés du serpent et du crocodile commandés par l’actrice Maria Félix, ou encore la montre Santos au poignet de l’aviateur, ami de Louis Cartier.

L’élégance du félin

Contrairement à d’autres Maisons de luxe, l’idée de Cartier n’était pas de choisir une égérie mais un animal :  » Les égéries, c’est bon pour vendre du parfum et des vêtements, alors que nous travaillons pour l’éternité « . La panthère s’est tout naturellement imposée puisqu’elle est l’emblème de la marque depuis le début du 20ème siècle. A l’origine, il y a eu ce bracelet panthère, créé pour symboliser toute l’élégance et la caractère noble de la marque.
Puis la panthère était aussi, symboliquement, une personne : Jeanne Toussaint. Elle fut à la fois muse et créatrice de la Maison Cartier, respectée pour sa personnalité forte, son oeil et son style. L’esprit félin est alors pour Cartier plus qu’un symbole, une signature hors du temps.

La panthère est un animal qui séduit par sa dualité. Elle est délicate, élégante, souple, féminine tout comme elle peut être sauvage, incertaine et mystérieuse. Entre crainte et respect, la panthère confère à la marque un caractère précieux, rare et éminemment luxueux. Le félin est aussi synonyme de force, de puissance, et incarne en ce sens parfaitement l’idée d’une marque pérenne et de tradition. Le réalisateur Bruno Aveillan (qui a entre autres collaboré avec Lanvin, Chanel et Vuitton) a su non seulement mettre en scène l’histoire de Cartier et faire transparaitre ses valeurs à travers son emblème félin, mais il a également et savamment saupoudré le film de poésie.

Le réveil de la panthère de son enveloppe de diamants est comme une naissance, un essor majestueux. L’animal se déplace tout en finesse, avec élégance et discrétion, et porte à lui seul toute l’odyssée. Dans la dernière scène, la panthère retrouve une femme à l’attitude féline (robe rouge, cheveux tirés en arrière qui mettent l’accent sur des yeux… »de chat », mouvements très souples et lents) et se laisse caresser.
De la main de la femme s’échappent quelques diamants, restés dans le pelage de la panthère. Une façon délicate et poétique de rappeler l’éclosion du début du film et de nous signifier que c’est la fin. La femme et la panthère partent en marchant puis l’écrin rouge Cartier se referme sur elles, capturant ainsi tout l’esprit et l’histoire de Cartier que nous venons de découvrir. Alors, la musique qui a porté et sublimé le voyage depuis le début semble se relancer, comme pour nous dire que l’épopée n’est pas prête de se terminer.

Mâcher pour la vérité

Article également publié sur Publik’Art.

Extrait du Tome 1, Goût décès

Ce que dit la 4ème de couverture… « L’inspecteur Tony Chu a un secret. Ou plutôt un pouvoir… Enfin, quelque chose d’un peu bizarre qui fait de lui un cibopathe. Cela signifie qu’il est capable de retracer psychiquement la nature, l’origine, l’histoire et même les émotions de tout ce qu’il ingurgite. »

À première vue, le personnage de Tony Chu semble avoir un don certain. Il peut en effet remonter à l’origine de tout ce qu’il mange : connaître le pesticide utilisé pour un fruit, savoir de quel animal provient sa viande, ou encore déterminer quel pied de vigne a permis la fabrication du vin qu’il boit. A priori donc, un pouvoir qui semble intéressant mais pas indispensable. Sauf peut-être lorsqu’il s’agit d’enquêter sur des meurtres fraîchement commis.
En tant que membre de la RAS (agence de Répression des Aliments et Stupéfiants), l’inspecteur Tony Chu devra enquêter sur des affaires de meurtres liés à un trafic alimentaire, mais également goûter les victimes afin de trouver la vérité. Autrement dit, s’il croque un morceau d’une personne décédée, il peut voir ce qu’il s’est passé juste avant sa mort et ainsi découvrir l’assassin.

La série choisit de placer le poulet au centre de toutes les préoccupations. Dans l’histoire, cet aliment a été interdit par le gouvernement américain suite à une épidémie de grippe aviaire qui a fait 23 millions de morts. Cependant, certains croient que le gouvernement a menti et le poulet continue de se vendre au marché noir. Des restaurants spécialisés dans le poulet ont même ouvert clandestinement.
Sur fond de crise volaillère, l’inspecteur Chu devra enquêter sur cette économie parallèle et en découvrir les dirigeants tout en essayant de résoudre des meurtres, à priori tous liés à ce commerce du poulet. Il devra aussi percer le secret d’une toute nouvelle plante-fruit dont le goût ressemble exactement à celui du fameux volatile interdit.

Couvertures des 3 premiers tomes de la série, Editions Delcourt

Le pitch de Tony Chu (CHEW en version originale, qui signifie mâcher) est tout à fait insolite et utilise un ton complètement décalé, déjà salué et récompensé par deux Eisner Awards.
Il peut néanmoins évoquer l’histoire proposée par la série télévisée Pushing Daisies, dans laquelle le personnage principal a également un pouvoir. En touchant les personnes décédées, il peut les réveiller, leur demander les conditions de leur mort et ainsi aider un détective privé à élucider les affaires les plus farfelues.

Dans un esprit beaucoup plus gore et cru, Tony Chu propose aux lecteurs des résolutions d’enquêtes absolument déjantées et bourrées d’humour. Un humour parfois noir et aigri, à l’image du caractère du personnage au début de la série. L’adaptation française ne perd rien de l’ironie générale qui englobe la lecture. Dès les premières pages, on apprend que Tony Chu travaille pour la RAS (FDA en anglais). Certes le sigle a une signification mais lorsqu’on le découvre pour la première fois, on a tendance à penser à RAS, Rien à signaler. Comme si son travail était inutile et dénué d’intérêt mais que malgré tout, on allait lui consacrer toute une histoire.
Le scénariste John Layman et le dessinateur Rob Guillory ont réussi à concocter une histoire à la portée totalement absurde mais pourtant très crédible. Aucun détail n’est laissé au hasard et, jusque dans le Tome 3, on a toujours des déclics, des illuminations sur des éléments et des faits présentés dans le Tome 1. Si on est attentifs aux décors et à l’environnement général de la BD, les clins d’œil à la réalité sont multiples et humoristiques, et on appréciera particulièrement les références cinématographiques – Reservoir dogs et Pulp fiction notamment – glissées çà et là par les auteurs.

Joyeux 1 an !

Il y a maintenant 1 an que Toutesceschoses existe.

Je n’ai pas pour habitude de prendre directement la parole sur le blog mais aujourd’hui je voulais vous remercier. Merci à vous, lecteurs et lectrices qui m’avez permis de continuer sur ma lancée. Merci à ceux qui sont une fois, un jour, sont passés par là. Merci aussi à ceux qui viennent régulièrement lire les nouveautés. Vous êtes de plus en plus nombreux à me lire et à me suivre, notamment via Twitter et je prends toutes ces attentions comme autant d’encouragements pour la suite.

J’ai pu remarqué que certains billets avaient plus de succès que d’autres : mes Baigneuses et mon analyse de la Fille au miroir arrivent largement en tête des articles les plus consultés.
Peut-être est-ce un indice sur les thèmes à creuser ? Souhaitez-vous en lire d’avantage sur la peinture et l’art ? Ou préférez-vous découvrir plus d’analyses de films ? de livres ?…
La porte est ouverte, n’hésitez pas à me faire part de vos commentaires et suggestions. Je serai ravie de les lire et de les intégrer à mes choix d’écriture.

Une nouvelle fois, merci pour votre passage, fut-il celui d’une découverte ou celui d’une lecture fidèle ! A très bientôt,
Clairederien.

Berceuse assassine

Couverture de Berceuse Assassine, l’intégrale (Ed. Dargaud)

« Je me souviens : c’est cette nuit-là que j’ai décidé de tuer Martha. »
Le ton est donné dès les premières bulles. Il est froid, noir et plein de rancoeur. Dans une ambiance urbaine des plus pesantes, ce thriller psychologique dresse un vrai puzzle d’histoires et de sentiments.
Berceuse Assassine, se compose de trois tomes, et installe de ce fait une histoire à trois voix. Trois personnages, trois points de vue et trois destins reliés autour d’une même tragédie. Chaque numéro se concentre sur un personnage et nous livre sa vision des faits.

Dans le premier, on découvre Joe Telenko, chauffeur de taxi new-yorkais aigri, qui sillonne inlassablement les quartiers les plus pourris pour des clients toujours plus exécrables. Physiquement, son coeur souffre. Telenko est en tachycardie quasi permanente et s’attend à ce que son coeur s’arrête à tout moment. Sentimentalement, son coeur est las, blasé. Il ne supporte plus sa femme Martha, paralysée des jambes suite à un accident de voiture… qu’il a causé.
Dans le second, on apprend qu’avant le fauteuil roulant, Martha était connue dans son village pour avoir les plus belles jambes. Avant l’accident, son rêve c’était la danse. Aujourd’hui, elle vit aux dépens des allers et venues de Joe, ruminant sans cesse sa haine contre lui. Tous deux espèrent secrètement la mort de l’autre et se plaisent à penser qu’un jour, ils passeront à l’acte.

Avec le désespoir en trame de fond, ce triptyque aux tons sépia livre des personnages tristes, anéantis et détruits par la vie qu’ils ont, ou n’ont plus. L’histoire se déroule dans New York très sombre, où la seule couleur est celle des taxis jaunes. On pourrait croire au départ que cette lumière est une façon d’adoucir la noirceur et la dimension tragique de ce polar. Or, ce jaune éblouissant et cru révèle justement la dureté de la situation puisqu’il n’éclaire que des scènes dramatiques. Ce jaune aurait pourtant pu être cette lueur d’espoir dont tous ont besoin. Malheureusement pour eux, Joe l’a éteinte lorsqu’il a renversé et tué Hope, la fille de Dillon, le troisième personnage.

A chaque tome, on prend parti pour le personnage dont il est question. On a presque tendance à légitimer leurs actions parce qu’on les connaît mieux. Ainsi, on défend successivement Telenko et son souhait de tuer Martha qui lui mène une vie infernale ; puis Martha qui veut éliminer la cause de toutes ses souffrances, Joe ; pour finalement les détester tous les deux et se mettre du côté de Dillon et espérer sa vengeance. L’impression générale est assez déroutante dans la mesure où l’on passe d’un sentiment extrême à un autre en l’espace quelques pages ; mais au final, on ne peut qu’apprécier cette intrigue savamment orchestrée.

C’est la parfaite osmose du travail du scénariste (Philippe Tome) et du dessinateur (Ralph Meyer) qui construit audacieusement l’histoire et lui donne toute son originalité. Nous avons effectivement affaire à deux personnages principaux, Telenko et Martha ; et avec eux, à un rapport de force et d’opposition. Telenko, c’est le jaune du taxi dans lequel il erre, Martha c’est le noir et l’obscurité de la maison où elle se terre. Jaune et noir s’affrontent : le décor est donc logiquement marron – sépia. Cette couleur qui donne un aspect vieilli et surtout peu éclairé permet de renforcer ce climat terne et plein d’amertume. L’histoire est aussi empreinte de cette dualité. Le lecteur est tantôt d’accord avec l’un, tantôt d’accord avec l’autre. Si bien qu’il ne sait plus très bien ce qui est juste de croire, qui il est juste de soutenir et ce qui est vrai. Par un savant jeu et une totale maîtrise des couleurs, des sentiments, des intrigues et des personnages, Berceuse Assassine se place à la frontière entre un thriller sombrement intelligent digne de Christopher Nolan et un film violent et rythmé à la Tarantino.
Paradoxalement, cette Berceuse (dont on ne comprendra l’origine que dans le tome III, clef de l’intrigue) nous tient en haleine beaucoup plus qu’elle ne nous endort. Un joli coup de maître et une surprise totale pour le lecteur font de cette bande dessinée un classique du genre.

Les torches de la Liberté

L’actrice américaine Katherine Hepbrun, une cigarette à la main, années 30

Cette expression à la portée aussi concrète que symbolique a été formulée par le père (américain) de la propagande politique et des relations publiques, Edward Bernays. Alors que son principal client – Lucky Strike – se plaint du mauvais état de ses ventes, Bernays décide de s’adresser à une nouvelle cible, les femmes, à qui l’industrie du tabac ne parle pas. Les torches de la liberté, sa définition on ne peut plus explicite de la cigarette, incarnera d’ailleurs un de ses premiers succès en terme de communication/manipulation des masses. Son idée, convaincre les femmes américaines que fumer est un acte glamour et libérateur. Glamour, car jusqu’à cette époque, fumer était chez les femmes associé à la prostitution. Libérateur, car cette démarche de « féminisation » de la consommation du tabac intervient seulement quelques années après que les femmes aient accédé au droit de vote. Fumer devenait synonyme de liberté.

En 1929, pour mettre en pratique cette idée, Bernays engage des mannequins pour parader dans des défilés très médiatisés. Chacune avait une cigarette dans une main et une pancarte Torch of Liberty dans l’autre. L’idée est semée : les femmes qui fument sont indépendantes et modernes. Lucky Strike connait un succès fulgurant et octroie à la femme une place de plus en plus importante dans ses publicités. Ces femmes deviennent ainsi des pin-up, pur symbole de la provocation non vulgaire. La pin-up est une femme libre, qui ose, qui s’assume… et qui fume si elle en a envie.

Publicité « Be Happy Go Lucky », 1950

Cette publicité est particulièrement révélatrice du positionnement instauré par Bernays pour Lucky Strike : la femme/pin-up occupe la première place (50% de la page versus deux petits angles seulement pour les hommes), elle porte une jupe au dessus du genou (les années 50 voient plutôt naître les jupes et robes à mi-mollets), et dernier détail mais pas des moindres, elle a l’audace d’écarter les jambes. Le message ainsi incarné va bien au delà du bonheur de fumer des Lucky, il matérialise (à priori) la libération sexuelle de la femme.

Il est intéressant de noter que Edward Bernays était le neveu de Sigmund Freud. Dans ses travaux, il disait s’inspirer grandement de l’oeuvre psychanalytique de son oncle. Il considérait en effet que les masses ne pensaient pas par elles-mêmes mais qu’elles étaient guidées par des pulsions inconscientes, deux termes effectivement chers au père de l’inconscient. Selon lui, pour « manipuler l’opinion » (selon ses termes*), il était donc primordial de s’adresser au ça, au subconscient des foules. Comme chez Freud, on retrouve dans les travaux de Bernays des symboles phalliques, de domination. Ainsi, s’impliquer auprès d’un grand nom du marché de la cigarette – représentation éminemment masculine – n’était pas le plus pur des hasards.

Dans cette publicité en particulier, la libération ainsi prônée ne semble pas totale. Certes, la construction de l’affiche donne la part belle à la femme, mais elle ne la représente pas dans sa dimension la plus… pensante. En effet, alors que les deux (petits) hommes donnent leur avis sur les cigarettes Lucky Strike, la femme se contente de dire qu’elle est une suiveuse (cf. I lead the crowd > Je suis la foule). En pom-pom girl dévouée elle supporte Lucky Strike, mais finalement elle ne sait peut-être pas vraiment pourquoi. Enfin, la position du haut-parleur est ostensiblement suggestive. Il se dresse en pointe dans l’exact alignement de l’ouverture des jambes de la pin-up. Cette publicité crie et fait croire à une certaine libération sexuelle et indépendance vis à vis de la cigarette mais ce qu’elle dit et installe véritablement est une image de la femme soumise aux désirs masculins. En d’autres termes, la campagne Torch of Liberty du début des années 30, ne s’avère peut-être pas si féministe et libératrice que ça. Et pour cause, même si ces torches initialement réservées aux hommes ont été embrasées par des femmes, le résultat n’est pas celui d’une castration décidée mais bien d’une obéissance à l’idée… d’un homme.

*Propaganda, comment manipuler l’opinion en démocratie par E.Bernays (livre disponible ici).

Poésie masquée

Chaque année, les marques de Beauté sont nombreuses à proposer des éditions « spéciales fêtes », spécialement créées pour l’événement ou simplement relookées. Pour Shu Uemura, les fêtes de la fin d’année 2011 se placent sous le signe de la célébration. La marque opte ainsi pour un univers tout en strass et paillettes, et où tout est amplifié (les cils, les ongles, les voilages d’une robe). On y célèbre la beauté mais aussi la passion et la sérénité.
Pour concevoir le spot publicitaire de la collection, la marque nippone a fait appel à Wong Kar-Wai, le réalisateur HongKongais à qui l’on doit In the mood for love ou encore My Blueberry nights. Pour ce court-métrage, le cinéaste s’inspire d’un poème du romancier allemand Charles BukowskiBrûler dans l’eau, se noyer dans les flammes.

Un film en deux teintes

D’une part, le choix d’un tel poème et donc d’un tel paradoxe, en dit long sur le positionnement qu’a choisi Wong Kar-Wai pour mettre en scène la marque. D’autre part, cette gamme spéciale fêtes propose des produits conçus autour de deux couleurs, et s’intitule sobrement Rouge et Bleu. Le choix de teintes opposées est éminemment révélateur du message que souhaite transmettre la marque. On comprend alors que l’association Shu Uemura – Wong Kar-Wai est porteuse d’un travail, d’une réflexion sur l’harmonie des deux extrêmes.


Le spot dévoile une ombre, puis une femme qui évolue dans des ambiances successivement chaudes et dorées, puis froides et sombres. Le personnage oscille constamment entre les deux univers et les transitions sont ponctuées de véritables explosions de couleurs : rouge, jaune, puis bleu. Pour passer du rouge au bleu, il est nécessaire de côtoyer le jaune. En d’autres termes, passer d’un extrême à l’autre est possible, il suffit de savoir chevaucher le point d’équilibre. Cette mise en lumière du poème Brûler dans l’eau,[…] illustre ainsi toute la contradiction et à la fois l’accord de la passion et du calme.

Le masque est quant à lui un élément clef du visuel. Et pour cause, Wong Kar-Wai lui donne le rôle essentiel de titre. Symboliquement, le masque a une connotation universelle du travestissement et du déguisement. Or, il est aussi l’accessoire de toutes les possibilités, de toutes les imaginations et donc de toutes les libertés. Le masque rend possible et englobe l’univers onirique du film. Egalement, les parties du corps qui sont montrées (cils, yeux, lèvres, ongles) ne sont pas seulement maquillées. Elles sont mises en scènes. En ce sens, c’est un esprit très « spectacle » qui se dégage de cette poésie sensuelle du corps et des textures.

Dans ce court-métrage à la signature Beauté se distingue tout de même un clin d’oeil Cinéma à l’oeuvre du réalisateur. Le rouge fait écho à la passion des liaisons amoureuses d’In the mood for love, alors que le bleu rappelle les tartes aux myrtilles savourées par Norah Jones dans My Blueberry nights. Le tout est enveloppé d’une musique calme, envoûtante, intense, aux sonorités dignes d’un morceau de Portishead… groupe par ailleurs fréquemment à l’honneur dans les films de Wong Kar-Wai.

Lorsque le silence était d’or

Jean Dujardin alias George Valentin, au début du film

Alors que le monde du cinéma est à la 3D et au numérique, il est un réalisateur – Michel Hazanavicius – dont le souhait était de repartir en arrière. A la fin des années 1920 plus précisément. Au temps où les films étaient en noir et blanc, où les acteurs étaient muets et où la musique siégeait au premier rang. Son souhait, il le nomme The Artist et il fait le pari de transporter le public dans le temps. Retour sur ce film nouveau et vieux à la fois, véritable ode aux films d’un temps qui n’est peut-être pas tout à fait révolu.

« Ce qui compte, ce n’est pas d’où vous prenez les choses, mais où vous les amenez » disait Jean-Luc Godard.

Michel Hazanavicius s’inspire et puise beaucoup dans ce cinéma des années 20-50, et décide de nous amener à Hollywood, au temps où la célèbre colline arboraient encore toutes ces lettres : Hollywoodland. Nous suivons l’histoire de deux personnages-acteurs dont les destins se croisent et évoluent en sens inverse. Pour l’un le déclin, pour l’autre l’ascension. Un schéma scénaristique relativement simple où s’affrontent gloire et déchéance, richesse et ruine. Cette « simplicité » de l’histoire est d’ailleurs caractéristique des films de cette époque : les acteurs ne parlent pas et il faut que les spectateurs puissent les suivre facilement.

Néanmoins, cette façon de faire cohabiter célébrité et anonymat instaure une ambiance de duel, d’affrontement. Ainsi, c’est un Hollywood aux traits plutôt sombres qui se dessine en trame de fond. Il est présenté comme une machine, un monstre qui absorbe les acteurs et les façonne à sa manière pour en faire des stars, puis les jette comme des malpropres à la moindre nouvelle tendance (technique, sociale…).

Cet Hollywood est incarné dans le personnage de Zimmer (John Goodman, ci-dessus), le directeur des studios Kinograph. La vision de M.Hazanavicius de cette époque est nostalgique et admiratrice car de nombreux films cultes y virent le jour (A star is born, The Jazz singer, puis plus tard Singin’ in the rain,…), et avec eux une esthétique particulière de la réalisation.
Cependant, il dresse dans The Artist un portrait manichéen voire même schizophrénique du cinéma, à la frontière entre art et industrie, succès et échec, et pour cela qu’y a-t-il de plus pertinent que de tourner… en noir et blanc.

Dès la première scène, nous comprenons que le Cinéma que souhaite nous montrer M.Hazanavicius est donc celui des coulisses, celui des acteurs et non vraiment celui du public. Et pour cause, le film débute dans puis derrière l’écran d’une salle de cinéma où est projeté une énième aventure de George Valentin (Jean Dujardin).
Nous sommes en 1927 et l’acteur, véritable star du muet, est alors à l’apogée de sa carrière. Tout ce qui se rattache à lui semble emprunt de son succès et de son statut de star : loge personnelle, voiture avec chauffeur, garde robe élégante, demeure luxueuse où trônent toutes sortes d’objets à son effigie. Assez facilement, on devine que George Valentin est certes un acteur talentueux, mais qu’il est surtout bien assis sur ses acquis (cinématographiques et matériels) et quelque peu orgueilleux. Or, comme pour toute chose qui arrive à son apogée, l’étape suivante est la descente, voire la chute. Cette chute s’annonce très rapidement dans le film.
A la sortie de la projection où l’acteur est acclamé par la presse et le public, une jeune femme tente de s’approcher de lui, pour finalement tomber sur lui. Il ne le sait pas encore, mais il vient en réalité de faire la connaissance de la pétillante Peppy Miller (Bérénice Bejo), qui incarnera un « nouveau » cinéma, le cinéma parlant.

L’avenir, Peppy Miller admirant et embrassant le passé, George Valentin

Peppy Miller, contrairement à George Valentin, c’est l’envie d’apprendre, de découvrir et de faire ses premiers pas dans le monde du cinéma. Pour y parvenir, la jeune femme ne craindra pas d’user de son culot autant que de son charme. En effet, le personnage de Peppy est la parfaite combinaison des critères de beauté de l’époque, c’est une flapper. Ce surnom était donné aux femmes des années 1920, qui arboraient le look cheveux courts, robes droites et courtes et qui, pleines d’audace, osaient la liberté (alcool, cigarette, sexe…).

Peppy – peut-être un diminutif de Pepper – c’est le petit grain de poivre qui s’aventure dans la grande machine qu’est Hollywood, sans se poser de question. C’est aussi le petit grain de folie qui va « relever » le milieu du cinéma pour finalement y semer la zizanie. Ce « grain », c’est d’ailleurs George Valentin qui le matérialisera en dessinant un grain de beauté sur le visage de la jeune femme. Il la conseille, lui donne quelques astuces et c’est finalement grâce (à cause ?) à lui qu’elle décrochera ses premiers rôles. Peppy, c’est un vent nouveau (Miller, le moulin) qui s’apprête à souffler sur les studios Kinograph.

Au fur et à mesure que la carrière de G.Valentin décline, la sienne prend son envol. Sur fond de crise boursière, le célèbre acteur muet voit sa côte de popularité diminuer considérablement au profit d’une tête d’affiche féminine, plus moderne. Le premier vrai long métrage de la belle s’intitule The Beauty spot (Le Grain de beauté). Clin d’oeil amical ou défi professionnel ? Quoi qu’il en soit, Peppy prend confiance en elle et multiplie ses rôles, tout en voyant son nom prendre de la hauteur dans les génériques. Sa carrière décolle et le cinéma parlant devient le cauchemar de George.
Dans un de ses rêves, il remarque avec effroi que tout ce qui l’entoure fait du bruit : un verre qu’il pose sur la table, la sonnerie du téléphone, les voitures qui passent dans la rue,… mais lui reste muet. Dans une vision d’horreur et d’angoisse absolue, George est prisonnier de son mutisme alors que tout semble s’animer autour de lui.

Un des moments clefs du film expose clairement l’opposition entre le muet et le parlant.
Alors que George dîne au restaurant avec son fidèle chauffeur, une jeune femme s’installe à la table de derrière pour répondre aux questions des journalistes. C’est Peppy, qui, après une entrée très m’as-tu-vue, parle de son dernier film, sans hésiter à hausser la voix pour dénigrer le cinéma muet : « Les gens en ont marre de voir les acteurs faire la grimace, le public veut nous entendre ! Et puis, les vieux doivent faire place aux jeunes. » A ces mots, le plan reste fixe quelques instants sur le profil des deux acteurs dos à dos. A gauche, un George dépité, tête baissée ; à droite, une Peppy toute pimpante prête à toutes les excentricité pour vendre son film ; au centre, une large colonne de bois. La descente de George Valentin n’est plus seulement amorcée, elle est accélérée et impulsée par le culot de la nouvelle génération.

Avant de voir sa vie luxueuse et confortable disparaître totalement, George se lance dans la réalisation d’un ultime film muet, afin de prouver que le muet n’est pas mort. Mais devant l’engouement du public pour la jeune et talentueuse Peppy Miller, il s’avoue vaincu et sombre peu à peu dans la dépression. Une modeste chambre remplace sa luxueuse bâtisse, il vend ses plus beaux costumes pour quelques dollars, pour finalement brûler les bobines de ses propres films. Dans l’incendie, il parvient à sauver une bobine (celle de son premier film avec Peppy) avant de s’évanouir. Si sa vie à été sauvée grâce à son loyal Fox terrier qui a alerté un policier, son bien-être est assuré par son ange gardien. Celui qui veille discrètement sur lui. En effet, Peppy voue un culte profond à celui qu’elle admire et qui l’a lancée, malgré lui. Un de ses derniers films présentés s’intitule d’ailleurs The Guardian angel.
Voulant se racheter auprès de George qu’elle a blessé par ses paroles, elle organise un rendez-vous devant le directeur des studios, Zimmer, afin de lui présenter un numéro à la frontière muet/parlant : le tap dance. Ainsi, les acteurs n’ont pas besoin de parler mais on entend le bruit des claquettes. Tout le monde adhère, la reconversion semble assurée.

George en noir et Peppy en blanc semblent parfaitement s’accorder sur un décor de gratte-ciels gris

Au final, la dualité du film The Artist est nuancée par un compromis certes simple, mais qui semble efficace. Le public assiste à une happy-end et l’Artiste, même récemment déchu, reste un artiste.

La fille dans le miroir

Girl at the mirror, Norman Rockwell (1954)

Simple accessoire, objet convenu ou révélateur de vanité, le miroir apporte une autre dimension à la peinture, un autre niveau de lecture. Qu’importe sa taille ou sa forme, son but est d’attirer notre regard. Le miroir nous montre quelque chose que peut-être nous ne verrions pas ou ne pourrions pas voir sans lui. Il est comme un allié qui nous aide à mieux pénétrer dans la toile pour mieux l’observer et ainsi mieux la comprendre.

Dans le célèbre Girl at the mirror de Norman Rockwell, le miroir est investi d’un rôle primordial. Il fait l’image et est l’image. En nous montrant le reflet du visage de la fillette qui nous tourne le dos, il nous révèle le thème de la toile. Rockwell évoque cet instant d’inquiétude où l’enfant presque adolescent voudrait déjà être un adulte. Ici, la petite fille semble littéralement coincée entre l’innocence de l’enfance et les prémisses de la féminité. Le miroir (entre autres détails) nous fait ainsi partager ce moment intime de questionnement et dresse un rapport entre la fille et la femme.

Miroir, mon beau miroir…

Souvent utilisé dans des scènes de toilette, de mise en beauté ou de coiffure, le miroir est un élément essentiel de révélation. Fidèle objet qui incarne le souci de l’image de soi, il est généralement associé – en peinture – à la femme et à sa féminité. Dans le tableau, le miroir semble agir comme un électrochoc pour la fillette. Le reflet qu’elle y voit n’est pas celui qu’elle voudrait voir. Et pour cause, elle n’est encore qu’une enfant, à l’aube de son adolescence.
Le miroir a été posé sur le sol et prend appui sur le dossier d’une chaise. La petite fille était probablement trop petite pour atteindre ce miroir que l’on peut imaginer fixé au mur, ou trônant sur la coiffeuse de sa mère. Elle met également des accessoires de femme à son niveau : brosse à cheveux, bâton de rouge à lèvres et poudrier. Ceux-ci sont étalés sur le sol, comme des jouets pourraient l’être lorsqu’un enfant joue par terre.
Il est intéressant de voir que la poupée, seul élément directement lié à l’enfance, semble avoir été jetée voire maltraitée. En rejetant ainsi son jouet de petite fille, le personnage se rebelle contre sa jeunesse, son innocence. Etant donné l’emplacement de la poupée, son reflet n’apparaît pas dans le miroir : la jeune fille ne souhaite plus la voir dans le monde qu’elle projette. Le résultat est assez cruel et la poupée se retrouve dans une position quasi indécente.

Néanmoins, c’est bien cet univers adulte, féminin et glamour qui semble attirer la petite fille. Le magazine qu’elle a ouvert sur ses genoux en témoigne : Jane Russell, star hollywoodienne dont la carrière explose dans les années 1950, prend la pose avec un port de tête très élégant et semble fixer la fillette. Egalement, l’actrice était reconnue et appréciée à l’écran pour ses formes généreuses et son sex-appeal ; une sorte de Marilyn Monroe brune. De cette façon, la petite fille semble ballottée entre deux miroirs. Le premier : la photo de la star, lui renvoyant une image dans laquelle elle se projette ; le second : son propre reflet, qui ne semble pas lui plaire et l’inquiète.
Serais-je un jour aussi jolie ?, semble-t-elle se dire.

Le peintre retranscrit cette idée de tiraillement grâce aux accessoires (poupée versus rouge à lèvres, poudrier), mais aussi par le biais des textures et des couleurs. Les éléments de l’enfance, peu nombreux, utilisent des textures simples comme le tissu (robe-combinaison de la fillette et robe de la poupée), ou plus « vulgaire » comme le plastique du corps de la poupée. A l’inverse, tout ce qui vient du monde des adultes et de la femme est incarné dans des matériaux plus nobles et travaillés : le miroir à l’encadrement doré, la chaise à l’assise tressée, le tube de rouge à lèvres doré et la petite boîte bleue et dorée ornée d’un motif délicat. S’affrontent alors deux époques. Celle de l’enfant, joueur et un peu brouillon (elle n’est pas totalement habillée, la poupée est à l’envers et son lacet est défait), et celle de la femme adulte, plus strict et raffiné.

L’usage de la couleur renforce aussi le contraste. Certes le personnage est en blanc et porte une coiffure de petite fille sage et modèle. Cependant, elle est assise sur un tabouret portant la couleur de la/des passion(s). Le rouge est présent dans le tableau par petites touches (noeud de la poupée, rouge à lèvres, brosse, tabouret), mais il y en a suffisamment pour installer une atmosphère très connotée. Le tube de rouge à lèvres est resté ouvert ; la fillette a probablement du essayer d’en mettre pour voir si elle aurait à son tour l’allure de la star.
C’est finalement parce qu’elle tente de se juger avec les standards de Beauté adultes que cette petite fille s’angoisse. L’instant saisi par le peintre offre une image des plus pénétrantes de l’inquiétude pré-adolescente. Norman Rockwell confère ainsi au miroir bien plus qu’un rôle d’accessoire. Il est là pour réfléchir et donner à réfléchir. Il met en place une démarche d’introspection, de regard en soi-même et de profonde interrogation.

Montrer ce qui doit être corrigé.

Child Labor – Mill Girl, 1920’s  Lewis Hine

A la frontière entre l’art et le documentaire, les photographies de Lewis Hine avaient pour seul objectif de « montrer ce qui devait être corrigé, ce qui devait être apprécié ».

Equipé d’une chambre photographique en bois, cet américain sociologue de formation initie son activité de photographe à Ellis Island.
Braquant son objectif sur la porte d’entrée de l’Amérique, Hine souhaite montrer que les immigrants qui arrivent par vagues sont avant tout des êtres dignes, à la recherche d’une terre meilleure. Il réalise alors une large série de portraits de familles, de femmes, d’hommes et d’enfants venus de toute l’Europe, avec un regard à la fois inquiet et plein d’espoir.
Certains de ses portraits semblent par ailleurs inspirés de tableaux, à l’image de cette « madonne des taudis », digne d’un Raphaël ou d’un Boticcelli.

Dès 1908, persuadé que le système capitaliste abuse et exploite les enfants, il s’engage aux côtés du National Child Labor Commitee (NCLC), qui lutte pour promouvoir « les droits, la dignité, le bien-être et l’éducation des enfants et des jeunes dans leurs rapports au travail ou à toute activité laborieuse ». Il en deviendra par la suite le photographe attitré.
En parallèle, il entreprend un travail photographique sur le thème des hommes au travail (modestement intitulé Men at work). Ses travaux sont clairement engagés et Hine se sent plus proche de la dénonciation que de la valorisation artistique. C’est pourquoi, plutôt que de chercher à créer des effets de lumière ou de clair-obscur – qui selon lui, brouillent le message -, il concentre ses efforts sur des images « directes », dont la lumière souvent très crue ne trompe pas. Ainsi, son appareil photographique était un véritable outil social qui l’aidait à révéler au grand jour les injustices et les conditions de travail imposées par la production industrielle. Pour aller encore plus loin dans sa volonté de dénoncer, il faisait parfois usage de la composition, et plaçait minutieusement les hommes, les objets face à son objectif. Il voulait des images « plus réelles que la réalité elle-même », disait-il.

Men at work – Power house mechanic working on steam pump, 1920’s Lewis Hine

Au début de l’année 1930, le photographe s’intéresse à d’autres hommes au travail : les sky boys (ou garçons du ciel), alors que la construction du plus grand gratte-ciel de New York, l’Empire State Building, vient de commencer. Suspendus à des cordes, accrochés à la ferraille, assis dans le vide,… les ouvriers qui travaillaient sur ce chantier étaient de véritables funambules. Avec ses clichés des travaux, Hine renoue un peu avec la dimension artistique de la photographie, mais sans pour autant négliger leur rôle de témoignage : ces travailleurs sont dans des conditions extrêmes, constamment en proie au vide et au danger. En somme, il montrait le courage, la force – voire même l’héroïsme, selon ses termes – de ces bâtisseurs, beaucoup plus qu’il ne suivait l’évolution du mythique building.

En pleine ère progressiste américaine, et alors que le journalisme d’investigation était en plein essor, la photographie dite sociale jouait un rôle primordial dans la mise en lumière de la vérité ouvrière. Lewis Hine se positionnait comme un véritable combattant pour la justice sociale et s’attelait à pointer et à montrer les conditions de travail et de vie dans le New York insalubre du début du 20ème siècle. Le fait qu’il se soit senti profondément concerné par ces causes confère à l’ensemble de son oeuvre un grand humanisme. Et, puisque sa démarche n’était pas de « faire de l’art », ses photos n’en sont que plus justes, plus belles.

L’exposition Lewis Hine à la Fondation Henri Cartier-Bresson, jusqu’au 18 décembre 2011.

En ce moment sur vos écrans…

… expression empruntée au jargon cinématographique, afin de parler des films à l’affiche.
Bien que chaque film s’approprie les grands thèmes universels à sa façon, il est parfois un peu déroutant de se retrouver face à leurs affiches. Et l’Affiche actuelle est assez… tranchée. Deux thèmes se distinguent (très) clairement de la programmation : la Guerre et l’Amour / le Sexe.

La Guerre

. La guerre des boutons : Guerre enfantine. Enième adaptation du célèbre roman de Louis Pergaud, déclarant la guerre au film de Christophe Barratier.
. La nouvelle guerre des boutons : Nouvelle guerre enfantine. Enième nouvelle adaptation du roman, déclarant la guerre au film de Yann Samuel.
. Comment tuer son boss ? : Guerre au travail, ou comment trois amis se lancent dans une guerre sans merci contre leurs employeurs respectifs.
. Et maintenant, on va où ? : Guerre inter-religions. Bien que le point de départ du film, elle est placée en trame de fond. Egalement, la « guerre » menée par les femmes du village pour que leurs maris/frères/fils, déposent les armes.
. Warrior : Guerre au corps à corps. Au delà de la boxe, le free-fight, soit comment achever son adversaire pour remporter de l’argent.
. Les hommes libres : Paris en guerre. Espionnage et corruption sur fond d’occupation allemande.
. La guerre est déclarée : Contre la maladie, par amour, pour la vie. Film clef de l’Affiche, il représente les deux thèmes.

L’Amour, le Sexe

. Sexe entre amis : Titre et image on ne peut plus explicites, il s’agit de sexe bien plus que d’amitié… Pas très « profond ».
. Crazy Stupid Love : L’amour stupide et fou, ou comment se repositionner sur le marché de l’amour quand on a été marié.
. Un heureux évènement : Quelle place laissée à l’amour du couple après l’arrivée d’un enfant, quel amour pour l’enfant ?
. Apollonide : De l’amour du sexe, au coeur d’une maison close à l’aube du 20ème siècle.
. Notre paradis : Amour et homosexualité masculine sur fond de prostitution et de criminalité.
. Un été brûlant : Amour, amants et fierté. « En amour, c’est chacun pour soi ».

Mais alors, comment se fait-il que dans une même période les 3/4 des films traitent d’un même thème ? Y aurait-t-il, comme pour la presse, des marronniers ? Et quelle surprise reste-t-il au spectateur s’il s’attend chaque automne à un film « qui traite de »… ? Certes certaines thématiques sont constamment reprises et réutilisées par le cinéma mais qu’en est-il de la diversité des affiches ? Pourquoi, lorsqu’elles ne copient pas la mise en page, crient-elles toutes (plus ou moins) sensiblement la même chose ?

L’art d’après Lebowski

Le fameux tapis trône au centre de la salle d’exposition.

Qui aurait pu prédire que le film The Big Lebowski serait un jour élevé au rang d’oeuvre d’art, et qui plus est, de peinture ?
Et surtout, comment transforme-t-on une toile de cinéma en une toile de musée ?

C’est cette même idée qu’a choisi Joe Forkan, artiste américain, pour construire sa dernière exposition : The Lebowski cycle. Le peintre a ainsi réalisé une série de toiles qui reprennent des scènes clef du film, tout en s’imprégnant de tableaux de grands noms de la peinture (David, Titien, Manet, Rubens, Le Caravage,…). Une de ses toiles utilise notamment l’aura religieuse d’une oeuvre du peintre italien Guercino, Ecce Homo (Voici l’Homme), pour illustrer l’arrestation du personnage principal, le Dude.

Egalement, on retrouve l’influence de Manet et Velasquez – selon Joe Forkan – dans le personnage de Jésus.

A gauche, la toile peinte par Joe Forkan / A droite, l’extrait du film avec Jésus en arrêt sur image

Toutes ces toiles sont exposées à Costa Mesa en Californie mais nous pouvons aussi les voir sur le site de l’artiste, ou bien sur ce site. Enfin, pour (re)découvrir plus longuement le personnage culte de Jésus (car, pour le coup, la peinture ne retranscrit pas pleinement le comique et l’absurde de la situation), il n’y a pas plus explicite qu’une vidéo !

Espaces d’images


L’organisation de toutesceschoses évolue, se peaufine.
Deux espaces uniquement dédiés aux images se sont greffés au blog afin de lui donner une autre dimension. Une dimension plus vivante et plus rythmée. Ainsi, pas besoin d’attendre un « vrai » article pour avoir de la nouveauté et du visuel. Redonnons la part belle aux images !

D’une part, Toutes ces choses vues, aimées, capturées.,
un espace où sont partagées des photos récemment prises, mais aussi des images inspirantes trouvées çà et là sur le web.

D’autre part, Looking-like,
un espace où les images qui se ressemblent s’assemblent, et où les rapprochements parlent d’eux-mêmes.

Les liens pour se rendre sur les deux espaces (Tumblr) sont accessibles dans la barre de droite, « Choses capturées ». Bonne lecture Jetez-y un coup d’oeil ! ;)

All work and no play

Jack Nicholson alias Jack Torrance dans Shining de Stanley Kubrick, 1980


Lorsque le travail prend le pas sur la détente, on peut parfois créer des monstres.

Dans le célèbre Shining de Kubrick, l’abus de travail entraîne frustrations, enfermement et finalement, folie. Jack Torrance est chargé de la maintenance d’un hôtel isolé durant les longs mois d’hiver. Bien qu’entouré de sa femme et de son fils, il s’enlise dans un sentiment d’isolement physique, peu à peu rejoint par son mental. La preuve en est par cette phrase écrite des milliers de fois par Jack :
All work and no play makes Jack a dull boy.
Littéralement : uniquement le travail, sans aucun jeu, fait de Jack un garçon bien triste. Plusieurs signes de la folie de Jack transparaissent dans cette phrase de type cause > effet. Pour commencer, le personnage parle de lui à la 3ème personne ; il aurait aussi bien pu écrire « […] makes
me a dull boy ». Il montre déjà un certain détachement par rapport à lui-même et parle comme s’il était un enfant à qui on dirait de faire ses devoirs. Et pour cause, il ne se considère pas comme un homme / man mais bien comme un garçon / boy, signe révélateur de sa régression mentale. Dans une scène qui précède celle de l’écriture, Jack s’amuse d’ailleurs à lancer une balle contre le mur, comme s’il faisait des passes à un ami imaginaire. L’emploi du mot dull appuie également cette idée de retour en enfance. Il a de multiples traductions, mais ici on pourrait l’entendre au sens : triste, monotone, ennuyeux. Jack s’ennuie, il l’écrit et le répète à l’infini. Il fait un caprice.
Enfin, lorsque Jack est attelé à l’écriture derrière sa machine à écrire, on le voit de face – on ne voit donc pas ce qu’il écrit – et on constate qu’il est de plus en plus rapide dans ses gestes et que la concentration du début a été remplacée par de l’énervement. Finalement, alors qu’on l’imaginait inspiré par son roman, on découvre qu’il a écrit cette seule phrase des dizaines et des dizaines de fois. Le résultat est bien loin de l’oeuvre d’un romancier ordinaire ; il est plutôt celle d’une créature psycho-maniaque.


Cette idée selon laquelle le travail déraisonnable produit des monstres, Kubrick l’a empruntée à un grand nom de la peinture espagnole,
Francisco de Goya.

A la fin du 18ème siècle, Goya réalise plusieurs gravures dans lesquelles il fait part de sa vision du monde, sur un ton très moralisateur. Ce recueil, il le nomme ses Caprices. Chaque gravure, chaque illustration, se présente comme une carte postale à la verticale, et est signée d’une morale ou d’une phrase au ton sec et aigri. Parmi ces « cartes », on trouve celle-ci :

El sueno de la razon produce monstruos, Francisco de Goya, Caprices – 1797

La morale de cette illustration peut se traduire ainsi : Le sommeil de la raison engendre des monstres. Pour replacer la gravure dans son contexte historique, elle a été réalisée suite aux nombreux massacres de la Terreur en France. Le message du graveur est qu’en l’absence de raison, ce sont nos démons – les « monstres » – qui prennent le dessus. La raison, mot phare de la philosophie des Lumières, est ici assaillie et réprimée par tous ces monstres aux airs menaçants. Les Caprices de Goya seront d’ailleurs censurés par l’Inquisition espagnole, qui accusera Goya de partager les idées libérales de la Révolution française.

Le parallèle que dresse Kubrick dans son Shining est simple : Jack Torrance est physiquement et mentalement enfermé, comme errant dans un labyrinthe sans fin. Jack Torrance n’a plus de raison, il est devenu monstre. C’est un minotaure qui traque ses proies, tant pis si celles-ci firent partie de sa propre famille.